Le Monde (Paris). Tuesday, 28 October 2003.
La polémique que déchaîne le port du voile dit islamique
à l'école publique ne manque pas d'étonner, de stupéfier même, quand, devant l'ampleur des remous, on voit les autorités gouvernementales en venir, sans rire, à proposer aux jeunes Françaises musulmanes le port du bandana.
De surcroît, chaque parti met en avant des arguments parfaitement logiques pour défendre son point de vue, et force est de reconnaître que l'honnêteté intellectuelle et la rationalité ne suffisent plus à offrir une solution satisfaisante. Il est donc permis de se demander si cette question ne fait pas écran à des non-dits autrement importants, mais comme refoulés, tant par la société que par les autorités législatives et judiciaires.
Rappelons que, saisi par le ministre de l'éducation nationale, le Conseil d'Etat, dans un avis en date du 27 novembre 1989, n'a formulé aucune interdiction générale et absolue. Comme l'a fait justement remarquer Arnaud Viviant dans Le Monde du 17 octobre, la plupart des polémiques suscitées par le voile
ont pour cause des adolescentes (bien qu'il arrive que la question se pose également dans la fonction publique, où, il n'y a pas si longtemps, l'on a pu voir un contrôleur du travail autorisé à porter la kippa, tandis qu'à 400 km de là une de ses consœurs était mise à pied pour le port du foulard...). Or, on le sait, l'adolescence est un âge également propice aux actes de rébellion individuels (nécessaires à l'éclosion du futur adulte) et aux effets de groupe, aux modes.
Pour une part, la question du foulard relève de cet aspect psychosociologique. D'autre part, les jeunes filles qui portent le foulard dit islamique
font un choix rigoureux (souvent bien plus rigoureux que leurs aïeules), un choix certes respectable, mais fondé sur une culture religieuse récente dans la plupart des cas, mal assimilée, et parfois même erronée, ou en tout cas discutable : ainsi le Coran recommande-t-il, sans rigueur et fort brièvement, aux croyantes de cacher leurs atours
, de rabattre leur voile sur leur poitrine
ou encore de serrer sur elles leur voile
, ce qui relève d'un souci tout à fait banal de pudeur civilisatrice. Le voile couvrant la chevelure est un fait culturel très ancien et largement répandu dans le monde méditerranéen et oriental : il concernait aussi bien les femmes grecques, les patriciennes romaines, les premières chrétiennes (voyez les règles fort misogynes fulminées par saint Paul), que nos propres aïeules, qui n'auraient jamais osé sortir sans chapeau - sans chapeau à... voilette ! (Il est frappant de noter à ce propos que, si la littérature française du romantisme met en relief l'extraordinaire pouvoir érotique attribué à la cheville et au pied, la culture méditerranéenne et orientale attache beaucoup plus d'importance à la chevelure.)
Vivant au Maroc depuis plusieurs années, je peux témoigner que le foulard dit islamique
- ce qu'il conviendrait en vérité d'appeler le foulard de la mondialisation
-, ne laissant à découvert que l'ovale du visage, est d'importation récente - l'habit traditionnel marocain était le haïk, grande pièce d'étoffe que la main ramenait devant le visage - un drapé que Clérambault photographia avec tant de bonheur -, puis, à partir de l'indépendance, la djellaba accompagnée du ngab, c'est-à-dire du petit voile couvrant le visage jusqu'aux yeux. Aujourd'hui, il semble que bien des Marocaines choisissent de porter le voile strict ou relâché, c'est-à-dire laissant voir les cheveux, sous l'effet d'une mode, comme le font depuis plusieurs années déjà les Cairotes ou les Beyrouthines, qui n'oublient, certes pas, de se maquiller pour autant.
Admettons donc que le foulard - si insolite, si étrange, si beau ou si laid qu'il puisse nous paraître - relève d'un phénomène culturel (il y a des cultures sans religion, mais pas de religions sans culture). Si l'on commence à l'interdire pour de prétendues raisons de prosélytisme religieux (en quoi un foulard ou quelque autre signe religieux aurait-il le pouvoir de convaincre
?), il faudra interdire non seulement les quelques kippas qui circulent (rares en effet) et les millions de croix chrétiennes arborées (souvent par pure coquetterie) avec plus ou moins de discrétion, mais encore d'autres signes religieux
. On songe par exemple aux dreadlocks
des Rastas, lesquels se considèrent comme les adeptes d'une véritable religion. (Où finit une secte ? Où commence une religion ?...)
Gageons que, si l'on exclut tous ces adolescents, il ne restera plus grand monde dans nos lycées. Ou plutôt il ne restera que les porteurs de casquettes américaines, les tatoués et les adeptes du piercing
... Et nul n'est besoin d'être grand clerc pour comprendre que ces marques-là, si elles ne sont pas officiellement religieuses, répondent pourtant à un souci culturel d'appartenance ou à un rite de passage... Où donc commence et s'arrête la religion ? Où commence et finit la laïcité ? J'ai suggéré, pour entamer cette réflexion, que la polémique autour du voile
ne faisait peut-être que voiler
d'autres questions restées en suspens, mais réglées depuis longtemps, non par la loi ou la jurisprudence, mais par une tolérance empirique.
Expliquons-nous. Depuis l'émancipation des juifs sous la Révolu-tion française, personne n'a jamais songé à contester aux adeptes du judaïsme leur pratique de la circoncision. L'arrivée massive en France d'immigrés musulmans, qui se livrent à la même pratique, n'a rien changé à cette situation, ou plutôt à ce déni social de réalité
(qui n'est peut-être pas sans rapport avec la ghettoïsation des immigrés musulmans, terreau de l'intégrisme). Car, si même elle est beaucoup moins mutilante que l'excision, la circoncision religieuse n'en reste pas moins une ablation volontaire opérée sur un sujet incapable de s'y opposer mentalement ou physiquement. L'article 16-3 du code civil est sur ce point parfaitement clair : Il ne peut être porté atteinte à l'intégrité du corps humain qu'en cas de nécessité médicale pour la personne. Le consentement de l'intéressé doit être recueilli préalablement, hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n'est pas à même de consentir.
Or chacun sait que les juifs pratiquent la circoncision quelques jours après la naissance et les musulmans entre l'âge de 7 ans et celui de 9 ans, donc sur des êtres immatures et irresponsables. Une partie non négligeable de l'actuelle population française se trouve ainsi, de facto, dans l'illégalité la plus flagrante et serait donc passible d'une condamnation pénale...
On mesure la justesse et, tout ensemble, la ridicule absurdité d'une telle conclusion. On mesure encore mieux l'imbécillité ou la mauvaise foi d'une querelle à propos du voile, quand on tolère en même temps, depuis plus de deux siècles, une mutilation, non pas thérapeutique, mais culturelle et/ou religieuse. Si une religion
nouvelle (disons un mouvement de l'ampleur de la scientologie) demandait un jour à ses adhérents de couper à leurs enfants cette petite région peu innervée, presque indolore et inutile qu'est le lobe de l'oreille, on entendrait de partout des cris d'orfraie et l'on verrait se multiplier les procès. L'exemple n'est pas si fou, si l'on pense aux raëliens qui prétendent déjà cloner des êtres humains. En s'attaquant de front à la question du port du voile, la République française, laïque et démocratique, se voile les yeux sur d'autres pratiques, invisibles et non prosélytes, sans doute, mais mutilantes, radicalement illégales et pénalement condamnables... Cela donne à réfléchir.
Michel Orcel, diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris, diplômé d'islamologie, docteur èslettres, est écrivain.
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